Dans un essai quasi prophétique paru en 1973, Alain Peyrefitte annonçait : « Quand la Chine s’éveillera… le monde tremblera ». A l’orée du troisième millénaire et après trente années de politique d’ouverture et de réformes, la Chine, autrefois agricole, s’est éveillée, que dis-je, s’est révélée au monde. Cela dit, et à la différence de la pensée occidentale qui veut que grandeur rime avec hégémonie et écrasement des Autres, la modernisation à la chinoise a fait trembler le monde. Oui, la Chine fait trembler le monde ! Mais, pas de peur, plutôt d’EMERVEILLEMENT… Au même moment, dans la droite ligne des principes de coexistence pacifique adoptés par la Conférence de Bandung dont nous commémorons le 70ème anniversaire de la cérémonie de clôture demain, le 24 avril, le « Pays du Milieu » n’a pas tourné le dos aux autres nations en développement, et surtout pas ceux d’Afrique. L’Afrique avec laquelle elle a renforcé les liens depuis l’an 2000, par le biais du Forum sur la Coopération Sino-Africaine, le FOCAC, dont le neuvième sommet a eu lieu du 4 au 6 septembre 2024 à Beijing. Mais alors, comment l’Afrique, le continent ayant le plus grand nombre de pays en développement, peut-elle profiter au mieux de sa relation privilégiée avec la Chine, le plus grand pays en développement du monde, pour bâtir sa propre voie de développement et produire le miracle de sa modernisation ? De par le processus de modernisation à la chinoise, les 25 ans d’existence du FOCAC et prenant appui sur mon expérience personnelle avec la République Populaire de Chine - y compris mes six voyages d’études à Beijing -, j’aimerais avancer ici six pistes de réflexion susceptibles de propulser l’Afrique vers le développement tant attendu.
Comprendre la modernisation à la chinoise, c’est d’abord savoir que la Chine a toujours fait le choix de sa voie de développement en toute indépendance. Elle ne s’est jamais pliée aux injonctions ou aux pressions extérieures. Raison pour laquelle, par exemple, elle a pu rompre avec l’ex-URSS, quitte à payer des dettes très lourdes avec des moyens très limités. Pour des raisons similaires, elle a refusé l’offre américaine de dominer le monde à deux, sous le nom de « Chimerica ». Depuis lors, Washington ne décolère pas. La géopolitique de la flambée des taxes douanières que tout le monde regrette actuellement en est une parfaite illustration. Ceci dans la logique du « Consensus de Washington » auquel la plupart des pays africains ont été contraints d’adhérer au début des années 1990, avec son corollaire de Programme d’ajustement structurel, le PAS, un programme qui semble avoir été conçu pour appauvrir les pays africains et les tenir en laisse. A contrario, la coopération sino-africaine ne cesse de se renforcer voire s’amplifier au fil des FOCAC. La première piste de réflexion est la suivante : Si tant est que les pays Africains veulent faire mentir ceux qui pensent que le continent noir refuse le développement, ne faut-il pas qu’ils revisitent le modèle de développement chinois pour ensuite l’adapter aux spécificités nationales, afin de construire une modernisation à l’africaine ? Après le capitalisme occidental, le communisme russe, le socialisme à la chinoise, je crois fondamentalement que l’Afrique, « Berceau de l’humanité », doit à la communauté internationale une quatrième voie de développement, que j’appellerais volontiers, la voie de l’humanité, qui consiste à veiller aux intérêts de l’Humain en parfaite harmonie avec la création, telle que voulue par LE CREATEUR. Mieux que quiconque, l’Afrique est bien placée pour promouvoir un développement qui met DIEU à la Première place.
Comprendre la modernisation à la chinoise, c’est savoir ensuite que la Chine a toujours fait le choix d’utiliser l’ouverture comme un moyen pour forcer la réforme. Car, la réforme est un mécanisme de promotion du développement, d’accélération de la libéralisation du marché, tout en contrôlant le rythme. C’est pour cela, que la Chine a procédé à plusieurs tours d’ouverture. Chaque fois, les mesures de l’ouverture servent à renforcer la concurrence sur le marché intérieur et à forcer les agents économiques à renforcer leur compétitivité. Un processus renforcé avec l’avènement du Président XI Jinping et l’ « Initiative la Ceinture et la Route », qui intègre, à ce jour, plus de 150 pays et 30 organisations internationales. Le développement économique de la Chine au cours des 40 dernières années ainsi que sa deuxième place mondiale n’auraient pas été possibles sans les politiques méthodiques et successives d’ouverture et de réformes. Résultats. Lors de mon séjour d’études en mars 2024 dans la province du Jiangsu, cinquième province chinoise par la population (près de 85 millions d’habitants en 2020) et la deuxième pour le Pib total (10.000 milliards de yuans, soit 1.450 milliards de dollars US en 2020), j’ai pu constater que certaines villes du Sud, dont principalement Suzhou, ont connu une croissance économique fulgurante. Par exemple, Suzhou affiche le plus haut niveau de Pib par habitant de Chine, en dehors des provinces urbaines de Shanghai, Beijing, Tianjin et du Guangdong.
Ensuite, en marge de la troisième Conférence sur le dialogue des civilisations chinoises et africaines organisée par l’Institut Chine-Afrique, le 9 avril 2024, j’ai pu visiter et apprécier la province du Fujian et plus précisément la ville capitale de Fuzhou. Après 20 années de mise en œuvre de la vision stratégique « Stratégie 3820 » élaborée par le Président Xi Jinping en novembre 1992, Fuzhou a fait un bond en avant en matière de croissance économique. Aujourd’hui, le port de Fuzhou est devenu l’un des hubs portuaires les plus importants pour le transport de conteneurs, et figure parmi les 20 premiers ports mondiaux en termes de débit de marchandises depuis 2022. Au cours de la même année, la valeur totale de la production maritime de Fuzhou a dépassé 330 milliards de yuans (environ 46 milliards de dollars). Enfin, en marge du huitième Festival de la Jeunesse Chine-Afrique organisé dans la province du Zhejiang en mai 2024, j’ai pu visiter le célèbre marché de gros de la ville-district de Yiwu, considéré depuis 2005 comme le plus gros marché de petites marchandises au monde.
De toute évidence, de 1978 à nos jours, la politique d’ouverture et de réformes a entraîné la modernisation à la Chine. La seconde piste de réflexion est la suivante : Et si les pays africains recherchaient leur propre voie de restructuration économique en allant à l’école des 47 ans de politique d’ouverture et des réformes de la Chine ? Cela ramène à l’éternelle question de la réelle souveraineté économique du continent noir, en veillant à tirer leçon de l’expérience chinoise réussie, pour stopper la politique des espoirs déçus pratiquée en Afrique depuis maintenant soixante-cinq ans.
Comprendre la modernisation à la chinoise, c’est aussi savoir qu’au cours de cette période de développement rapide, la Chine a essayé de former un corps professionnel de gestion de l’administration publique. C’est le système de la « méritocratie ». Par ce système, la Chine a formé un grand nombre de gestionnaires publics très compétents. Le point de départ de ce processus de sélection est Gaokao, l’abréviation chinoise du « Concours national unifié de recrutement de l’enseignement supérieur général ». Il a lieu les 7 et 8 juin de chaque année, simultanément dans toute la Chine. Selon les notes obtenues, les élèves sont reçus dans des établissements d’enseignement supérieur plus ou moins prestigieux et sont appelés à occuper des positions sociales plus ou moins élevées. Créé au début de la République Populaire de Chine en 1952, le Gaokao a connu de multiples réformes qui lui ont permis de s’adapter au renouvellement des conditions sociales ainsi qu’aux contestations dont il a été l’objet. Il reste aujourd’hui, 73 ans après sa création, la forme de sélection la moins injuste dans la société chinoise. Une pratique qui remonte à bien loin dans l’histoire de la Chine, avec un célèbre précurseur… Confucius ! La troisième piste de réflexion est la suivante : vu l’expertise reconnue à la Chine dans la gestion de la carrière de ses cadres à divers niveaux, la coopération sino-africaine visant la formation des talents ne peut-elle pas s’étendre à la méritocratie ? Là encore, il ne s’agit pas de faire du copier-coller. Il faut plutôt partir du principe qu’à chances égales, il faut donner la priorité à ceux qui sont les plus méritants, en occultant pas la question de la moralité, de la probité et de l’intégrité intellectuelle.
Comprendre la modernisation à la chinoise, c’est en outre savoir que la Chine n’a pas été persuadée par les Occidentaux d’appliquer ce qu’on appelle la « thérapie de choc ». A l’origine, la Chine a failli appliquer le mouvement destructeur de la « thérapie de choc », en supprimant prématurément les contrôles essentiels des prix au cours de la première décennie critique de la réforme (1978-1988). Mais, elle s’est finalement abstenue. Au lieu de libéraliser tous les prix d’un seul coup, l’Etat chinois a d’abord continué à planifier le noyau industriel de l’économie et à fixer les prix des biens essentiels, tandis que les prix de la production excédentaire et des biens non essentiels étaient successivement libéralisés. En conséquence, les prix ont été progressivement déterminés par le marché. Il faut noter que l’effondrement économique de la Fédération de Russie en 1995, consécutive à l’application de la « thérapie de choc » des Occidentaux, a conforté la Chine dans son choix de la prudence. Résultat : les positions de la Chine et de la Russie dans l’économie mondiale se sont inversées. La part de la Russie dans le Pib mondial a presque été divisée par deux, passant de 3,7% en 1990 à environ 2% en 2017, tandis que la part de la Chine a été multipliée par près de six, passant de seulement 2,2 % à environ un huitième de la production mondiale pour la même période. La quatrième piste de réflexion est la suivante : 24 ans après le lancement du FOCAC, quels mécanismes à même de permettre aux pays africains de bénéficier de l’expérience de la Chine pour sortir du piège de la « thérapie de choc » ? A ce propos, les trois précédentes leçons tirées de la modernisation à la chinoise sont toujours d’actualité.
Comprendre la modernisation à la chinoise, c’est savoir, par ailleurs, que la Chine pense qu’il faut des entreprises de toutes sortes dans une économie de marché. Contrairement à ce que préconisent les Occidentaux en général, les Américains en particulier, qui disent qu’il faut seulement avoir des entreprises privées dans une économie de marché. En fait, chaque entreprise a son rôle à jouer dans une économie de marché. La Chine a des entreprises publiques, des entreprises mixtes (c’est-à-dire des entreprises de joint-ventures, avec des participations d’entreprises étrangères), des entreprises coopératives, des entreprises privées, etc. Toutes ces entreprises ont un rôle à jouer dans une économie de marché. C’est pour cette raison que le marché chinois est devenu très résiliant, peut résister aux effets pervers de la guerre de taxes douanières actuelle, avec une croissance annoncée d’environ 5% pour 2025, un objectif identique à celui de l’an dernier et anticipé par les spécialistes, la création de 12 millions d’emplois urbains ainsi qu’une inflation de 2%. La cinquième piste de réflexion est la suivante : Comment les pays africains, prenant exemple sur la Chine, peuvent-ils réguler au mieux les activités des entreprises au profit du peuple ? De toute évidence, il importe de renforcer la présence de l’Etat là où cela s’avère nécessaire (que ce soit sur les questions de l’éducation, de la santé, de l’eau, de l’électricité, des logements sociaux, de subvention à la production agricole, de fixation et de contrôle des prix des produits de première nécessité, etc.) Il faut renforcer le contrôle de l’Etat là où c’est nécessaire (banques, assurances, etc.) et veiller à la régulation du marché là où cela suffit.
6- La Chine pour un leadership de communauté partagé pour l’humanité
Enfin, comprendre la modernisation à la chinoise, implique le fait que la Chine veut aussi aider les autres pays à se développer plus rapidement. Ceci sur une base de partenariat, c’est-à-dire sur une base de coopération d’égal à égal, gagnant gagnant. Cette perception de la vie et des rapports humains tire sa source dans la civilisation plurimillénaire chinoise et dans la conception confucéenne qui veut que, « pour qu’un homme s’enrichisse, il faut qu’il pense d’abord à comment ses affaires pourraient rendre les autres personnes autour de lui heureuses et prospères. » Autrement dit, sans l’esprit de la communauté, l’individu ne peut pas réussir. La modernisation à la chinoise est donc caractérisée par un équilibre entre l’individu et la société, entre l’homme et la nature, entre la nation et la communauté internationale. A la fin, ce sera l’harmonie suprême, un objectif cherché déjà par Confucius. La coopération sino-africaine illustre parfaitement cette volonté de la Chine à tirer les autres acteurs de la scène internationale vers le haut.
Pour preuve. Les participants à la treizième réunion du Forum Chine-Afrique des think-tanks co-organisée par l’Institut des études africaines de l’Université normale de Zhejiang de Chine dirigé par le Professeur Liu Honqgwu, et le Ministre chinois des Affaires étrangères, Wang Yi, ont proposé en Tanzanie, le 10 mars 2024, un mémorandum dit de « Consensus de Dar-es-Salam » visant à renforcer la coopération mondiale pour le développement. Tout comme à Bandung en avril 1955, les participants à cette réunion ont appelé la communauté internationale à approfondir la coopération au développement sur les principes de respect mutuel, de solidarité, de coopération gagnant gagnant, d’ouverture et de prospérité commune, renforçant ainsi le partage des connaissances, le consensus idéologique ainsi que la coprospérité culturelle. La sixième piste de réflexion est la suivante : Si tout au long de son parcours vers la modernisation, la Chine ne s’est jamais écartée de sa volonté clairement affichée et promue par le Président Xi Jinping de construire une communauté d’avenir partagé pour l’humanité, l’Afrique, « Berceau de l’humanité », n’a-t-elle pas intérêt à resserrer ses liens à l’interne en vue de proposer une quatrième voie pour le développement mondial en rapport avec l’homme, la nature et le divin ?
Je suis d’accord avec le Président XI Jinping lorsqu’il affirme que « l’Afrique est une terre prometteuse du 21ème siècle » et que « sa modernisation est essentielle à la modernisation mondiale ». Mon intime conviction, c’est que lorsque le soleil de l’Afrique brillera sur le toit du monde, la paix et la sécurité internationale auront un sens. J’en aurais fini en saluant les propositions salutaires du Président XI Jinping pour un monde solidaire ainsi que le Forum sur la Coopération Sino-Africaine, le FOCAC, 25 ans après. Un modèle réussi de partenariat Sud-Sud et un repère dans la reformulation des politiques de coopération des autres partenaires au développement de l’Afrique.
Je vous remercie.