La sagesse orientale de l'harmonie et de la coexistence : révélations contemporaines du confucianisme du point de vue d'une Française

(Note de l'éditeur : Cet article représente le point de vue de l'auteure Suzon Gaborieau et pas nécessairement celui de CGTN.)

Le Festival culturel international Confucius de Chine 2025, un événement culturel international organisé conjointement par le gouvernement populaire de la province du Shandong, le ministère de la Culture et du Tourisme et la Commission nationale chinoise pour l'UNESCO, se tiendra les 27 et 28 septembre à Qufu, dans la province chinoise du Shandong.

Le confucianisme fondé par Confucius et la pensée confucéenne qui s'est développée sur cette base ont profondément influencé le développement de la Chine. Ils ont également joué un rôle positif dans le progrès de la civilisation humaine. À mon avis, à l'époque contemporaine, la culture confucéenne offre une piste possible pour que l'humanité relève les défis communs.

La « semaine de haut niveau » de la 80e Assemblée générale des Nations Unies (AGNU) se tient en ce moment-même au siège de l'ONU. C'est dans ce cadre que se sont notamment tenus un sommet sur l'action climatique et une rencontre sur la gouvernance de l'IA, laquelle doit « veiller à ce que l'action humaine soit préservée et qu'elle devienne une force du bien », selon Antonio Guterres, secrétaire général des Nations Unies. Ces faits d'actualité reflètent les défis communs auxquels l'humanité est aujourd'hui confrontée.

Face à l'ampleur de ces bouleversements, la pensée d'un sage de l'Antiquité peut sembler archaïque. Or, si Confucius n'avait évidemment pas anticipé le réchauffement climatique ou les problèmes liés à l'intelligence artificielle, sa philosophie, centrée sur l'équilibre, la responsabilité et l'harmonie sociale, offre pourtant un cadre éthique étonnamment pertinent pour appréhender les défis du XXIe siècle.

La pensée confucéenne s'articule autour de plusieurs concepts clés dont celui de « l'humanité » ren 仁. Il englobe la bienveillance, l'empathie, le souci du bien-être d'autrui, mais aussi la piété filiale et la réciprocité.

Appliqué aux défis contemporains comme la gouvernance de l'intelligence artificielle, il pourrait signifier que les systèmes d'IA devraient être créés, amplifier les capacités humaines, pour servir l'humain et non pour le remplacer ou le manipuler. Il s'agit donc par exemple d'éviter une automatisation excessive menant à la déshumanisation et à des pertes d'emplois. De plus, le ren valorise le bien-être d'autrui, et peut donc vouloir dire impliquer les citoyens dans les débats sur l'éthique de l'IA.

Le ren résonne aussi pour ce qui est de la lutte contre le changement climatique et le développement durable. Conformément à l'idée confucéenne de piété filiale étendue à la communauté humaine, agir pour le climat aujourd'hui est un devoir moral envers les générations futures. La célèbre citation extraite des Entretiens de Confucius « ce que tu ne voudrais pas que l'on te fasse, ne l'inflige pas aux autres » fait tout à fait sens ici. En effet, les pays développés, principaux émetteurs de CO2, devraient se demander : « Accepterions-nous de subir les conséquences de nos actions si nous étions un État insulaire vulnérable ? »

De manière plus générale, le ren prône l'harmonie sociale par le dialogue. En ce sens, dans le monde d'aujourd'hui, il est nécessaire d'encourager la coopération internationale et le multilatéralisme pour résoudre les défis majeurs, comme c'est actuellement le cas avec la semaine de haut niveau. D'autre part, la modération et la recherche du juste milieu, le zhongyong 中庸, est une « méthode » pour incarner le ren : agir avec mesure, équilibre et adaptabilité, sans excès ni défaut. Ce principe correspond aux appels à la sobriété énergétique ou à une utilisation raisonnée de la technologie.

Le ren confucéen offre donc un cadre éthique pour des défis globaux : il rappelle que le progrès technologique et l'écologie doivent servir l'humain et l'harmonie collective. Il transforme en somme ces défis en impératifs moraux : agir pour les autres et chercher la modération.

Un autre principe confucéen applicable aux défis contemporain est celui du zhi 智. Il place l'intelligence au service de la vertu humaine ren. La pensée confucéenne distingue les termes « savoir » et « sagesse ». Le premier consiste à accumuler des connaissances, lesquelles sont inutiles sans le second, la sagesse, qui implique un discernement moral, la capacité d'agir pour le bien. Il s'agit donc en quelque sorte d'acquérir des connaissances pour améliorer la société.

L'essor de l'intelligence artificielle met en jeu non seulement des compétences techniques, mais aussi des choix éthiques (biais algorithmiques, respect de la vie privée, responsabilité en cas d'erreur, etc). Il pourrait s'agir ici d'utiliser l'IA pour renforcer l'accès à la connaissance en cultivant entre autres la créativité et l'esprit critique. Le zhi invite aussi à comprendre les impacts sociaux avant d'agir, à orienter l'innovation vers le bien commun et pas seulement vers la rentabilité. Imaginons une start-up qui développe des systèmes d'IA pour l'agriculture. Sans le zhi, elle optimise les rendements à court terme, collecte massivement des données sans consentement et vend ses services au plus offrant. Avec le zhi, elle se demande « quels seront les impacts ? » et oriente ses algorithmes pour favoriser des pratiques durables qui préservent l'eau et les sols. Finalement, cela rejoint un peu le concept moderne de responsabilité sociale des entreprises (RSE), qui désigne la « responsabilité des entreprises vis-à-vis des effets qu'elles exercent sur la société » et qui les pousse à avoir un impact positif sur cette dernière tout en restant économiquement viables. Si la RSE constitue le cadre d'action moderne des entreprises, le zhi n'en représenterait-il pas la substance éthique indispensable ? L'une serait la structure, l'autre l'esprit qui l'habite.

D'un point de vue climatique, le zhi nous pousserait tout d'abord à appréhender la complexité du problème et la gravité de la menace (causes scientifiques, implications économiques, injustices sociales), à distinguer les mauvais comportements (par exemple le greenwashing), pour finalement agir en considérant des solutions durables à long terme qui puissent bénéficier à la nature et aux générations futures. Appliquons ce schéma « connaissance, discernement, action » à un projet écologique concret et contemporain : celui de la Grande muraille verte en Afrique. Ce projet présenté par l'Union africaine vise à planter des arbres sur une distance plus de 8 000 km pour faire face à la désertification dans la région du Sahel. Pour ce qui est du savoir, les scientifiques ont fait le constat de la désertification et acquis des connaissances sur le phénomène dans cette zone et sur ses causes (déforestation, pratique agricoles non durables) et ses conséquences (perte de biodiversité, insécurité alimentaire, raréfaction de l'eau, extension urbaine). Grâce à une certaine forme de zhi, ils ont pris conscience que planter simplement des arbres n'était pas suffisant. Il faut une solution qui restaure les écosystèmes tout en améliorant la vie de la population. Action : la Grande muraille verte n'est pas qu'une ligne d'arbres. Malgré les divers obstacles qui freinent toujours l'atteinte des objectifs, des stratégies ont été redéfinies. Le projet promeut une gestion durable des terres et a créé des emplois et des ressources. Les espèces plantées tiennent compte des préférences des communautés locales. Si les résultats escomptés ne sont pas encore au rendez-vous, le contexte humain a bien été pris en compte.

Qu'il s'agisse de canaliser la puissance de l'intelligence artificielle ou de combattre l'urgence climatique, le zhi nous rappelle que la connaissance technique reste vaine, voire dangereuse, sans la sagesse qui l'oriente. Cette sagesse pratique exige un triple engagement : une connaissance approfondie des enjeux, un discernement moral pour distinguer le bien commun des intérêts particuliers à court terme, et une action responsable qui intègre les conséquences sociales et environnementales.

La vision du Secrétaire général de l'ONU Antonio Guterres, qui appelle à faire de l'IA « une force du bien », trouve un écho remarquable dans la sagesse confucéenne. Alors que la communauté internationale se réunit pour répondre aux défis de notre temps, la philosophie de Confucius se révèle être un réservoir de sagesse d'une brûlante actualité. Face à la complexité technologique et écologique, les concepts de ren et de zhi offrent une un cadre éthique indispensable. Le ren nous rappelle que toute innovation technologique et toute action climatique doivent servir l'humain et les générations futures, incarnant ainsi la responsabilité morale. Le zhi, quant à lui, invite à mettre cette bienveillance en action par un discernement éclairé, privilégiant des solutions durables et équitables plutôt que des réponses purement techniques.

(Photo : VCG)