Cinquante experts africains — parmi lesquels des professeurs d’université, des directeurs d’instituts de recherche et des présidents de groupes de réflexion — ont participé au séminaire de Xi’an sur « La modernisation à la chinoise et le développement de l’Afrique », tenu du 17 au 24 juillet 2024 dans la province du Shaanxi, en Chine. De retour dans leurs pays respectifs, certains ont accepté de participer à notre série d’interviews intitulée « Trois questions aux participants du séminaire de Xi’an ». Aujourd’hui, nous échangeons avec la Représentante du Kenya, Evaline Mukami Nyaga.
Bonjour Evaline Mukami Nyaga, vous êtes la représentante du Kenya au séminaire de Xi’an sur « La modernisation à la chinoise et le développement de l’Afrique ». Présentez-vous et dites-nous quelles sont vos impressions à l’issue de ce grand rendez-vous consacré à la mise en œuvre des « Six objectifs clés de la modernisation » et des « Dix actions de partenariat stratégique » entre la Chine et l’Afrique.
Je suis Evaline Mukami, représentante du Kenya au séminaire sur la modernisation à la chinoise et le développement de l’Afrique, qui s’est tenu à Yangling et Xi’an du 17 au 24 juillet 2025. Je suis chercheure associée, avec une expertise à l’intersection de la recherche politique, du leadership opérationnel et de la conception de programmes, notamment en diplomatie humanitaire, gouvernance multilatérale et développement durable. Le séminaire, combinant visites techniques et dialogues comparatifs, a offert un espace rare pour comprendre comment la modernisation à la chinoise influence les pratiques multilatérales, façonne les approches diplomatiques humanitaires et peut être adaptée pour promouvoir un développement résilient et centré sur les populations dans les contextes africains.
Impressions du séminaire et réflexions sur la mise en œuvre des six objectifs et des dix actions du partenariat stratégique sino-africain
Le séminaire a été une combinaison utile de démonstrations techniques et de dialogues stratégiques : les usines végétales, les centres d’innovation semencière, l’irrigation intelligente et les services agricoles numérisés ont montré des moyens concrets d’améliorer la productivité et la résilience climatique ; les centres communautaires et les pôles médicaux ont illustré une gouvernance centrée sur les citoyens ; et les projets de fabrication intelligente et d’énergie verte ont démontré comment la modernisation industrielle et la transition énergétique peuvent être coordonnées.
Cela dit, je reste prudente : la trajectoire de la Chine est historiquement spécifique et ne constitue pas un modèle universel. Sans accords commerciaux et financiers négociés, il existe un risque réel de renforcer des rôles d’exportation à faible valeur ajoutée et une exposition à la dette. Il est tout aussi essentiel de ne pas exclure les entreprises africaines, les universités, les PME, les jeunes et la société civile, car cela transforme les projets en transferts unilatéraux qui ne renforcent pas les capacités locales. Concrètement, chaque équipement doit être accompagné d’un financement pour le renforcement des capacités, de règles contraignantes sur le contenu local et la qualité, de financements sensibles à la dette, d’une conception participative institutionnalisée et de garanties environnementales et sociales applicables. Si ces conditions sont réunies, le succès ne se mesurera pas à la liste des infrastructures construites, mais à l’absorption technologique réelle, à une meilleure capture de la valeur locale, à des emplois de qualité, à des résultats sociaux et environnementaux améliorés, et à une plus grande autonomie politique.
Ces priorités sont directement alignées avec le partenariat stratégique sino-africain et doivent être mises en œuvre à travers les dix actions du partenariat, afin que les engagements de haut niveau se traduisent par des bénéfices concrets et maîtrisés pour les communautés kenyanes.
Quelles propositions avez-vous pour une coopération sino-africaine plus proche des peuples, vue du Kenya ?
Merci pour la question. Une coopération réelle et responsable doit être visible dans les champs des agriculteurs, dans les salles de formation des comtés et dans les ateliers des PME, et pas seulement dans les mémorandums de haut niveau. Je propose un ensemble de mesures pratiques et centrées sur les populations, qui relient la technologie et le financement à la propriété locale, aux compétences et à la supervision.
Commençons par l’agriculture : établir des fermes pilotes Kenya–Chine qui intègrent les technologies agricoles de Yangling et les meilleures pratiques dans les réalités agroécologiques kenyanes. Chaque ferme pilote doit adapter les variétés de semences, les régimes d’irrigation et la gestion des sols aux zones locales, être co-conçue avec les services de vulgarisation des comtés, et intégrer des coopératives agricoles et des clauses de souveraineté semencière pour que les communautés contrôlent les matériaux de plantation et bénéficient de la valeur ajoutée.
Rendre le financement conditionnel et aligné sur les capacités. Le financement des projets doit inclure des objectifs explicites de valeur ajoutée locale, des quotas de formation professionnelle et des règles d’approvisionnement progressives qui privilégient les PME kenyanes et les coentreprises à mesure que les projets se développent. Utiliser des instruments mixtes combinant subventions concessionnelles, prêts indexés sur les revenus et obligations de résilience climatique, et exiger des évaluations indépendantes de soutenabilité de la dette et des déclencheurs de contingence avant tout nouveau décaissement.
Ouvrir des canaux commerciaux qui créent des emplois et des marges plus élevées pour les producteurs kenyans. Négocier un accès zéro tarif ou préférentiel pour les produits agricoles et transformés à forte valeur ajoutée lorsque le Kenya respecte les normes de qualité et sanitaires convenues, et associer ces concessions à une assistance technique ciblée pour que les exportateurs puissent atteindre ces normes et capter des marges plus importantes.
Investir dans la jeunesse et les compétences par un transfert technologique délibéré. Co-concevoir les programmes de formation technique et professionnelle (TVET) avec des institutions partenaires chinoises, établir des centres de formation numérique bilingues dans les comtés, et créer des pipelines de stages garantis dans les projets bilatéraux afin que les jeunes formés soient intégrés dans les chaînes de valeur locales plutôt que d’être exportés comme main-d’œuvre peu qualifiée.
Faire de l’échange culturel et civique une pratique régulière et bidirectionnelle. Étendre les programmes d’échange communautaire, les dialogues civiques conjoints et le renforcement des capacités médiatiques pour que la coopération soit comprise, critiquée et célébrée par les citoyens des deux côtés. La visibilité renforce la confiance et réduit l’espace pour la désinformation.
Institutionnaliser la supervision et la transparence. Former des unités de suivi tripartites — gouvernement, société civile et représentants parlementaires — pour examiner les impacts des projets, les normes du travail et la conformité environnementale, et publier des rapports accessibles au niveau des comtés. Utiliser des indicateurs simples que les citoyens peuvent suivre et un mécanisme de plainte indépendant et limité dans le temps.
Ces propositions sont pratiques, complémentaires et conçues pour maintenir les bénéfices économiques au plus près des populations : une technologie adaptée aux réalités locales, un financement qui renforce les capacités locales, un commerce qui récompense la montée en qualité, des filières de compétences pour les jeunes, des échanges civiques pour renforcer la confiance, et une supervision robuste pour garantir la responsabilité.
Que pensez-vous de l’initiative du Groupe de réflexion de Xi’an pour assurer le suivi du séminaire ?
Le Groupe de réflexion de Xi’an est un mécanisme précieux pour transformer les dialogues du séminaire en projets pilotes et en politiques ayant un impact au niveau citoyen, à condition qu’il s’engage à une composition inclusive intégrant des praticiens africains, des gouvernements locaux, des jeunes, des chercheurs et la société civile aux côtés des partenaires chinois. Il doit être orienté vers l’action, avec des projets pilotes, des notes politiques et des jalons clairs, soutenus par des rapports transparents et des évaluations indépendantes. Des pôles régionaux et des axes thématiques alignés sur les priorités nationales, ainsi qu’un courtage actif de connaissances reliant les besoins de recherche africains à la R&D chinoise et aux financements tiers. Le Groupe devrait intégrer les voix communautaires, se coordonner avec le FOCAC, l’Union africaine et les instances nationales de planification, et associer ses recommandations à des subventions ciblées pour le renforcement des capacités et à du mentorat institutionnel.